Du courage des Bédouins

Ibn Khaldoun (1331-1406), historien maghrébin, précurseur médiéval de l'histoire des civilisations.

 

Lire:

L'homme comme animal politique

 

 

 

 

 

Eugène Fromentin, Scène du désert, 1868

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Eugène Fromentin, Chasseur au faucon en Algérie, 1862

 

Les gens de le bédouinité sont plus disposés au courage que les gens des villes. La raison en est que les gens des villes se sont livrés au repos et à la tranquillité, se sont prélassés dans le bien-être et l’aisance et ont laissé à leur gouverneur, à l’autorité qui les dirige et à la garde qui les protège, le soin de défendre leurs biens et leurs personnes. Ils se sont fiés aveuglément aux remparts qui les entourent et aux ouvrages avancés qui les couvrent ; ils ne s’alarment de rien, et rien ne les effarouche. Quiets et confiants, ils ont délaissé les armes. Ils ont laissé après eux une postérité qui leur ressemble, et ils sont devenus semblables aux femmes et aux enfants qui sont à la charge du chef de famille ; ils vivent dans un état d’insouciance qui leur est devenu une seconde nature.Les nomades isolés des agglomérations, vivant à l’état sauvage dans les grands espaces, éloignés de toute garde, vivant à l’écart de remparts et des portes, assurent leur propre défense et ne se déchargent sur personne de ce soin, car ils n’ont confiance qu’en eux sur ce point. Ils sont toujours sous les armes et sont aux aguets sur tous les chemins. Ils résistent au sommeil et ne s’y laissent aller qu’à de courts intervalles, pendant leurs réunions ou sur la selle de leurs chameaux ou de leurs chevaux. Ils prêtent l’oreille aux aboiements comme au bruit du tonnerre. Ils s’isolent dans la solitude et l’immensité désertique, fiers de leur puissance, confiants en eux-mêmes. La force est devenue pour eux une qualité innée, et le courage une seconde nature, et ils y recourent chaque fois qu’on les appelle ou qu’on leur lance un cri d’alarme. Les gens des villes, quand ils se mêlent à eux à la badiya ou les accompagnent en voyage, leur sont à charge, incapables qu’ils sont de rien faire par eux-mêmes. C’est un fait patent et que l’on peut constater jusque dans leur ignorance des lieux, de l’orientation, des points d’eau et des directions des pistes.La cause de tout cela est ce que nous avons exposé. L’origine en est que l’homme est fils de ses habitudes et de ses usages, et non de sa nature et de son tempérament. Ce à quoi l’on s’habitue, au point que cela devient une seconde nature, une faculté, un usage, prend la place de la nature innée.