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Scénario
du film "Peau noire, masque blanc"
Patient algérien
Je ne peux pas voir un film sans m'y retrouver. A l'entracte avant le film, je me cherche. Peau noire, masque blanc.
Frantz Fanon
Je n'arrive point armé de vérités decisives. Ma conscience n'est pas traversée de vérités décisives. Cependant, en toute sérénité, je pense qu'il serait bon que certaines choses soient dites. Ces choses, je vais les dire, non les crier, car depuis longtemps le cri est sorti de ma vie. Et c'est tellement loin. Je suis né à la Martinique. J'ai étudié la médecine en France, puis la psychiatrie. à 27 ans, j'ai publié mon premier livre : "Peau noire, masques blancs".
Pourquoi écrire cet ouvrage ?
Personne ne m'en a prié, surtout pas ceux à qui il s'adresse. Je réponds calmement : il y a trop d'imbéciles sur cette terre et puisque je le dis, il s'agit de le prouver.
Homi Bhabha, critique culturel :
Au fond d'une valise abandonnée, se trouve un sac rempli de livres de héros, icônes d'un temps révolu. Les couvertures, comme des drapeaux, lançant des révolutions, annonçant des prophètes, symboles fétiches d'une époque. Castro, Marx, Mao, Régis Debray, Simone de Beauvoir, Fanon. Fanon est à part, stigmatisé pour sa violence pure. A cette époque, considérée par certains -dont Hannah Arendt- comme le crépuscule du monde occidental, -universités en lutte, révolte des jeunes, cités en désordre, Black Power, mouvements de décolonisation-, Fanon apparaît comme l'ange vengeur.
Newsreel
Alger attendait De Gaulle. C'est dans...
Stuart Hall, critique culturel
Le rapport maître-esclave est une lutte pour le pouvoir, pour savoir qui va posséder le produit du travail de l'esclave. C'est ce qui intéresse Fanon, il voit, bien-sûr, que la relation colonisateur-colonisé est une bataille à mort qu'il a lui-même menée jusqu'à la fin.
En même temps, il voit que c'est aussi la lutte de l'esclave pour être reconnu. Il n'existe pas. Il n'a donc aucune chance d'être reconnu. Il n'existe aucune réforme qui va mener l'homme blanc à reconnaître l'autre.
C'est pour cela que Fanon dit que le racisme dépersonnalise. C'est le déni de la reconnaissance. C'est le maître qui dit : "Je ne te vois pas".
Chanson créole
Dors mon enfant, dors, la guerre m'enlève ceux qui me sont chers.
Françoise Vergès
Fanon voulait que sa mère lui chante des chansons créoles, pas des comptines françaises. Il voulait écouter les chansons créoles. Et elle lui répondait: "Ne fais pas le nègre".
Olivier Fanon
La famille Fanon est assez éclectique. Ma grand-mère est originaire d'Alsace, donc était claire de peau.
Là, c'est moi. Ça c'est un monsieur très important, ça c'est son grand-père.
Oui, j'étais très clair de peau étant jeune. Et j'étais un peu... enfin, je faisais un peu le désarroi de mon père qui n'arrêtait pas de demander à ma mère d'où je pouvais sortir. Il lui demandait... "Cet enfant est trop clair, il n'est pas de moi"
Il y a beaucoup de chabins comme on dit. J'ai des cousins qui sont chabins qui sont blonds aux yeux bleus. Ils sont de Martinique.
France Actualité Archives
La Martinique. Que devient cette île française depuis 1685, entourée de possessions britanniques. France Actualité présente un reportage sur la vie.
Françoise Vergès
Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion sont les "vieilles colonies", l'empire colonial français d'avant la Révolution. Après la Révolution française, on parla d'abolir l'esclavage. Mais la promesse n'est pas tenue.
Pathé Archives
Devant le monument de Schoelcher. Né en 1804 à Paris, Victor Schoelcher se voua à l'abolition de l'esclavage. Après 20 ans de lutte, il obtient le grand acte d'affranchissement le 27 avril 1848.
Françoise Vergès
En 1848 l'esclavage fut aboli, mais l'égalité n'existait toujours pas. Pourtant la France restait le lieu vers lequel les Martiniquais se tournaient pour demander protection contre les colonisateurs locaux.
Fanon écrit: "Quand la France fut menacée pendant la 2ème guerre mondiale, il n'y eut pas d'hésitation, je devais partir pour la défendre".
Vichy Radio archives
J'ai tenu à évoquer le problème nègre au moment même où aux Etats-Unis, il fait l'objet de discussions passionnées à propos des avantages que les noirs réclament en raison de leur coopération à la guerre et de leur appoint dans les élections.
Kléber Gamess
Il y a eu le gouvernement Vichy, sous Pétain. Et à la Martinique nous avons eu l'amiral Robert, et beaucoup de jeunes gens sont partis, fuir le joue d'Hitler représenté à cette époque par Pétain.
Félicienne & France-Lyne
Fanon Chanson créole : Dors mon enfant, la guerre m'enlève ceux qui me sont chers.
Félicienne Fanon
Ils se doutaient que Frantz allait partir. Ce jour-là. Donc il y avait cet air de tristesse qui planait sur certains membres de la famille. Et on se questionnait comme ça pendant toute la soirée. As-tu vu Frantz ? As-tu vu Frantz ?
France-Lyne Fanon
Moi, enfin je crois que ce qui est important aussi, d'après ce que j'ai su, c'est que ceux qui partaient en dissidence, c'était dangereux.
Félicienne Fanon
Je ne sais pas si c'est tout à fait vrai, que certains pêcheurs prenaient l'argent et qu'ils lâchaient les...
France-Lyne Fanon
Les dissidents.
Félicienne Fanon
...les dissidents en plein canal et ils arrivaient ou ils n'arrivaient pas. Il y en avait beaucoup qui mouraient comme ça.
Joby Fanon
Arrivé en France, il s'aperçoit que le fermier français n'est pas tellement français, n'est pas tellement prêt à combattre pour la France. Et il nous écrit en 45 : "Je me suis trompé. Rien qui justifie cette subite décision de me faire le défenseur des intérêts du fermier quand lui-même s'en fout."
Félicienne & France-Lyne Fanon, [Chanson créole :]
Dors, mon enfant, la guerre m'enlève ceux qui me sont chers.
Françoise Vergès
En 1946, après la guerre, les anticolonialistes de l'île demanderont l'égalité, disant: "Nous avons la Liberté et la Fraternité, il manque l'Egalité". "L'égalité avec nos frères français doit être entière".
Martinique, Guadeloupe, Réunion et Guyane devinrent des DOM. Fanon fit campagne avec Aimé Césaire, qui avait défendu la loi, transformant la colonie en département à l'Assemblée Nationale.
Frantz Fanon
Vois-tu, mon cher, le préjugé de couleur, je ne connais pas cela.
Joby Fanon.
Il a choisi de faire la psychiatrie, qui permet au malade de fuir la liberté, mais qui oblige le psychiatre à l'amener à retrouver sa liberté.
Frantz Fanon
Entrez, monsieur. Quel est le problème ? Chez nous, le préjugé de couleur n'existe pas. Absolument aucun. Le nègre est un homme comme nous.
Joby Fanon.
On lui présente un malade, une malade, une Française, qui était malade mentale. Et Frantz s'avance vers elle pour l'interroger. Et alors, cette femme se dresse en disant : "Je veux pas que ce Noir me touche ! Enlevez-moi ce Noir!"
Frantz Fanon
Vous allez l'énerver ! Ne faites pas attention, monsieur. Il ne comprend pas que vous êtes aussi civilisé que nous.
Joby Fanon.
Mais Frantz avait sûrement eu déjà des cas identiques. Il a donc interrogé gentillement la femme. Et on était dehors en train de voir le 13 juillet à Paris, il y avait des feux d'artifices, et il y a un des candidats qui est sorti de la salle et qui est venu vers moi en me disant : "Vous connaissez le médecin qui est en train de passer maintenant ?" J'ai dit : "Oui, c'est mon frère." "Oh", il dit alors, "c'est fantastique. Feux d'artifices à l'intérieur, feux d'artifices à l'extérieur".
Frantz Fanon
J'arrivais dans le monde soucieux de faire lever un sens aux choses, mon âme pleine du désir d'être à l'origine du monde, et voici que je me découvrais objet au milieu d'autres objets. Enfermé dans cette objectivité écrasante, j'implorais mon voisin. Son regard libérateur me rend une légerté que je croyais perdue et m'absentant du monde, me rend au monde là-bas. Mais à ce moment, je bute et l'autre, par des gestes, attitudes, regards me fixe.
Françoise Vergès
"Peau noire, masques blancs" fut écrit en 1951, quand Fanon n'avait que 27 ans. Il étudiait la médecine à Lyon, et il voulait que ce soit sa thèse.
Stuart Hall
Imaginez un intellectuel antillais formé dans la culture française, arrivant à Paris, s'attendant à être accepté, qui se heurte au racisme métropolitain dans la façon dont on le traite, et aussi dans la façon dont on le regarde.
Petite fille
Maman, regarde le nègre. J'ai peur, j'ai peur. Stuart Hall Il se sait observé par un enfant français et sa mère. Et ce regard de l'autre l'anéantit, car il détruit ce que Fanon appelle le faux moi "dépersonnalisé", le moi colonial, construit en imitation du colonisateur au fil des ans. Ce regard le brise.
Frantz Fanon
Je me désintègre. Maintenant. Les morceaux sont rassemblés par un autre "moi".
Stuart Hall
Il dit que c'est la seule image de lui-même que ce jeune homme possède. Si un regard ébranle l'image, il n'y a plus rien. Il sent son être exploser. Il n'a pas de moi autonome qui lui permette d'affronter le monde.
Frantz Fanon
Alentour, le Blanc. En haut, le ciel s'arrache le nombril, la terre crisse sous mes pieds. Et un chant blanc, blanc. Toute cette blancheur qui me calcine.
Homi Bhabha
Ecoutez Fanon en cette fin de siècle pour comprendre le monde d'aujourd'hui. C'était peut-être un rêveur, mais ses rêves sont nés du cauchemar de l'histoire, quand le Tiers-Monde n'était ni réalité ni idéologie. Une simple opposition entre histoire et conscience ne peut résumer les idées de Fanon sur le colonialisme et la construction du monde moderne.
Stuart Hall
Le titre n'est pas "Peau noire, peau blanche", ce n'est pas juste sur le racisme, c'est "Peau noire, masques blancs". Cela parle de l'homme noir qui grandit en portant un masque blanc.
Joby Fanon.
"Peau Noire Masques Blancs", c'etait pas le véritable nom qui avait été trouvé. Ca s'appelait "Essai pour la désaliénation du noir". Mais en réalité Frantz a été trop modeste. C'est un essai pour la désaliénation du noir et du blanc.
Françoise Vergès
Fanon écrit que ce qu'un Blanc voit dans son miroir, c'est un Blanc. Il se découvre en tant que Blanc dans son miroir, mais dans des moments d'hallucination, quand il perd le sens de la réalité, ce qu'il voit, c'est l'autre qui le menace. Il voit un Noir.
Maryse Condé
Quand j'ai lu "Peau Noire, Masques Blancs" j'étais au foyer étudiant des jeunes filles de ce qu'on peut appeler la bourgeoisie antillaise. Beaucoup d'entre nous étaient acceptées dans des grandes écoles de Paris. Nous avions l'impression que nous étions les plus intelligentes, les plus belles, les plus douées, que nous avions un avenir extraordinaire. Donc il était impossible pour nous de nous reconnaître dans les portraits que Frantz Fanon donnait des Antillais : des gens pathologiquement aliénés, pleins de complexes d'infériorité et qui étaient incapables d'assumer leur race. Donc la réaction que nous avons eue - je dis nous parce qu'il y avait tout un groupe de gens, autour de moi, des filles surtout - nous avons donc senti que ce livre-là ne représentait pas du tout notre moi collectif.
Stuart Hall
Fanon nous fait comprendre comment le racisme est inscrit sur la peau. C'est quelque chose de littéralement visualisé, qui se joue entièrement dans le regard. Mais il décrit autre chose dont on n'avait jamais parlé avant : la nature séxuée du regard. Le regard implique toujours le désir. Non seulement le désir de voir, mais d'en voir plus que ce que l'on peut voir. Le désir de voir à l'intérieur, au-delà, derrière.
La réaction raciste entre Noirs et Blancs intervient quand le Blanc qui regarde prend conscience de son attirance pour le Noir. Le racisme, c'est le déni du désir contenu dans le regard.
Françoise Vergès
Au coeur du livre, il y a le corps de l'homme noir. Un corps humilié, battu, violé, menacé. "Peau noire..." est un livre complexe. C'est un livre plein de contradictions. Cependant, on peut cerner sa véritable pensée : les Noirs sont aliénés par leur désir des femmes blanches. Mais en lisant attentivement, en fait, il s'agit du désir de la femme.
La femme blanche désire l'homme noir, l'homosexuel blanc désire l'homme noir, mais la femme noire ne le désire pas : aliénée, elle désire le Blanc. Le Noir est désiré par ceux dont il ne veut pas. Fanon veut se libérer de ce corps. Il veut se libérer de cette chose qui se voit.
Il a sa conception de la liberté. Il veut une liberté, une indépendance totales. Se libérer de tout ce qui peut menacer son moi. Pour lui, être indépendant, c'est se défaire de toute forme de désir qui s'opposerait à cette conception de la liberté.
Frantz Fanon
D'abord je dois dire qu'il ne nous a pas été donné de constater la présence manifeste de pédérastie en Martinique. Il faut y voir la conséquence de l'absence de l'Oedipe aux Antilles. Rappelons toutefois l'existence de ceux qu'on appelle là-bas des hommes habillés en dames, ou "ma commère". Ils portent souvent une veste et une jupe, mais nous restons persuadés qu'ils ont une vie sexuelle normale.
Stuart Hall
On connaît le statut difficile de la masculinité, les ambiguïtés qui l'entourent, l'infantilisation de l'adulte vis-à-vis de la mère, la relation complexe avec le père, et la forme patriarcale et sexiste de masculinité qui domine. On peut presque comprendre son utilisation de la dialectique maître-esclave comme une sorte de relecture historique ou Hegelienne de l'Oedipe. Je crois que pour Fanon, ce qui est important, c'est le conflit avec le père. C'est ce qui est au centre du texte : le conflit entre le fils noir et le père colonisateur. C'est cette relation Noir-Blanc / père-fils qui donne cette profonde masculinité à sa vision d'ensemble, qui génère le rôle ambigu des femmes dans le texte, et explique pourquoi ses sentiments sur les relations homosexuelles sont porteurs comme souvent aux Caraïbes, du même genre d'ambiguïtés.On est donc très près du complexe d'Oedipe.
Frantz Fanon
"Je suis Martiniquaise" est un ouvrage au rabais prônant un comportement malsain. Mayotte aime un Blanc dont elle accepte tout. C'est le seigneur. Elle ne réclame rien, n'exige rien sinon un peu de blancheur dans sa vie.
Françoise Vergès
Il y a ce chapitre où il analyse le texte de Mayotte Capécia "Je suis Martiniquaise". Plus tard, des féministes antillaises comme Maryse Condé diront que la critique de Fanon était injuste. Il n'a pas tenu compte du contexte, et de ce qu'elle disait. Mayotte Capécia parlait de la relation d'une jeune Martiniquaise avec un père brutal, méchant. Pour elle, l'homme blanc pouvait être une chance d'échapper à cette brutalité. Fanon, bien-sûr, n'en tient pas compte. Il ne voit que l'aliénation et son désir de "blancheur".
Maryse Condé
Il me semble que si on veut généraliser sur les rapports entre les femmes de couleur et les Blancs à partir des relations amoureuses on fait une erreur. Parce que l'amour, c'est un sentiment terriblement individuel qui échappe et qui vous place des fois dans une position de contradiction avec vos positions idéologiques et philosophiques.
Donc je crois qu'il ne faut pas se baser sur l'amour ou sur l'attirance sexuelle pour faire un procès à quelqu'un. Je crois que, considéré que le rapport de Mayotte, isolé, d'un individu avec un autre individu ne peut pas constituer la représentation des rapports entre une race et une autre. Donc, de la même façon que Frantz Fanon a pu aimé une femme blanche et avoir quand-même ce rapport fort et profond vis-à-vis de la colonisation générale, de la même façon la pauvre Mayotte pouvait être attirée par un Blanc sans véritablement représenter l'ensemble de sa race et l'ensemble des femmes, des femmes noires.
Françoise Vergès
Dans "Peau noire..." il écrira : "Qui je choisis comme objet de mon désir ne regarde personne. Je suis un homme libre". En effet il épousa Josée Dublé, une Française rencontrée à Lyon.
Joby Fanon.
Ils nous demandaient beaucoup "Pourquoi vous avez épousé des Métropolitaines ? Des Françaises ? Bon, parce que on s'est trouvé dans une situation où on a rencontré une femme qu'on a aimée. On a même oublié qu'elle était métropolitaine. Et Frantz écrit très justement quand on faisait ce reproche, "je n'ai pas l'impression d'abdiquer ma personnalité en épousant une Européenne. Je vous affirme que je ne fais pas un marché de dupes. Si l'on flaire mes enfants, si l'on examine la lunule de leurs ongles, c'est tout simplement parce que la société n'aura pas changé. Qu'elle aura, comme vous le dites si bien, gardé intacte sa mythologie. Pour notre part, nous refusons de considérer le problème sur le mode de "ou bien...ou bien".
Françoise Vergès
Pourquoi Fanon peut-il choisir et pas Capécia? Pourquoi le peut-il et pas un Noir de Martinique? Pourquoi l'un est-il aliéné et l'autre pas?
Joby Fanon
En tant que psychiatre on lui donne un poste à Pontorson. Pontorson c'est un hôpital dans la région de la Normandie, entre la Normandie et la Bretagne, sur le Quénon. Il y est resté 3 ou 4 mois, mais il me disait à cette époque "Je ne veux pas rester là, parce qu'il y a en France suffisamment de psychiatres pour guérir les malades mentaux français. Je veux aller soit à la Martinique, soit en Afrique. Je veux aller dans un pays sous domination pour guérir les malades." Frantz a accepté un poste à Blida-Joinville, où il a été nommé médecin, chef de service en 54.
Jacques Azoulay
La psychiatrie française s'inaugure avec le fait que Pinel libère les patients de leurs chaînes à la Salpêtrière.
Alice Cherki
Quand Fanon est arrivé à Blida il aurait défait les chaînes des patients, c'est à dire qu'il aurait été un deuxième Pinel. C'est une métaphore, je suppose. Fanon n'avait pas tous les services à l'hôpital psychiatrique de Blida. Il n'en avait qu'un et ce qu'on peut dire, c'est qu'effectivement il a transformé complètement le service qu'il a eu.
Jacques Azoulay
Il n'y avait pas de chaînes à Blida et l'originalité de Fanon n'a pas besoin de cela. Il a sûrement libéré quelque chose des malades, c'est-à-dire au-delà de la maladie qui était quand même l'essentiel, la maladie mentale, il a su libérer les patients d'un regard qui était éthnocentrique. Et je crois que c'est ça son innovation.
Alice Cherki
On peut dire qu'effectivement le service qu'il a trouvé était extrêmement archaïque, le service de l'époque, avec les camisoles, avec les jeunes schizophrènes jetés avec une botte de foin, dénudés. Il a instauré toute une pratique de psychothérapie institutionnelle dans son service. Avec l'aide, d'ailleurs, enthousiaste des infirmiers qui ont joué un rôle considérable, je crois que ça il ne faut pas l'oublier.
En essayant d'inscrire la prise en charge par les patients de leur propre vie collective. Et en organisant cette vie avec des structures qui étaient celles dans lesquelles les patients avaient, en dehors, l'habitude de vivre. C'est-à-dire des petits commerces, l'organisation d'un café maure où ils pouvaient se rencontrer. Et tout le monde y participait. Pas simplement parce que Fanon était un personnage charismatique, mais aussi parce que ça leur plaisait beaucoup, de faire cette pratique-là.
Frantz Fanon
Non, restez. Approchez-vous.
Nous aborderons ici le problème des troubles mentaux nés de la guerre de libération nationale que mène le peuple algérien. Ces notes de psychiatrie sembleront peut-être déplacées dans un tel livre. Nous n'y pouvons strictement rien. Aujourd'hui, la guerre de libération que le peuple algérien mène depuis 7 ans est devenue un terrain favorable à l'éclosion des troubles mentaux. Car pour les Algériens, c'est une guerre totale.
Alice Cherki
Moi-même j'étais venue comme interne à Blida en mai 56. Je donne cette précision parce que la guerre d'Algérie avait aussi commencé. Et l'hôpital psychiatrique de Blida était aussi touchée par cette guerre à ce moment là
Jeune Algérien
Après quelques mois, j'ai eu des nouvelles. Ma mère avait été tuée à bout portant par un Français et deux de mes soeurs emmenées chez les militaires.
Gendarme français
C'est surtout après l'électricité, cela devient très dur. On croit qu'il va mourir. Bien-sûr, il y en a qui ne crient pas. Ce sont les durs. Ils croient qu'on va les tuer immédiatement. Mais les tuer ne nous intéresse pas. On veut des renseignements.
Femme française
La police les a amenés à la maison. J'étais couchée, j'entendais leurs cris qui venaient de la cave. J'ai passé des nuits entières déchirée par le bruit de mon père torturant ces pauvres Algériens. Une nuit, je ne pouvais plus le supporter. Je suis descendue. La porte était entrebâillée. J'ai eu un tel choc. Vous savez, les Algériens que torturait mon père auraient pu être les garçons avec lesquels je jouais, enfant.
Jeune Algérien
Nous sommes allés dans une maison de colons. Le propriétaire, un activiste, avait tué deux civils algériens. On est entrés, il était absent. Seule sa femme était là. Elle s'est mise à pleurer et à nous supplier de ne pas la tuer "Vous êtes venus pour mon mari, mais il n'est pas là. Je lui ai toujours dit de ne pas faire de politique".
On a décidé d'attendre le mari. Mais moi, je regardais la femme et je pensais à ma mère. Elle était assise dans un fauteuil et semblait absente. Je me demandais pourquoi on ne la tuait pas.
Stuart Hall
Les guerres de décolonisation sont plus violentes qu'on ne le dit dans la presse et les médias, toujours. Mais celle-ci l'était particulièrement. Si vous combinez la relation intime entre la France et l'Algérie et la violence de cette guerre, vous voyez que les conséquences de ce genre de combat ne pouvaient pas se limiter à l'Algérie. La torture joua un rôle primordial. Elle exista des deux côtés. C'est une des rares guerres européennes de ce genre où un nombre considérable de jeunes soldats français ont refusé de se battre pour leur pays.
Gendarme français
Quand on a à faire aux durs, on leur fait dénoncer leurs complices. Tôt ou tard on y arrive. C'est déjà une victoire. Après, on continue. Vous savez, on aimerait éviter ça. Mais ils ne nous rendent pas les choses faciles.
Jeune Algérien
Soudain elle s'aperçut que je la regardais et se jeta sur moi en criant: "Ne me tuez pas. J'ai des enfants ! " L'instant d'après, elle était morte. Je l'avais tuée avec mon couteau.
Gendarme français
Maintenant j'entends leurs cris quand je suis chez moi. Surtout les cris de ceux qui sont morts au quartier général. Docteur, je n'en peux plus. Si vous me guérissez, je demanderai mon transfert. S'ils refusent, je démissionne.
Jeune Algérien
Cette femme commença à venir chaque nuit me réclamer mon sang. Et le sang de ma mère, où est-il ?
Alice Cherki
Un aspect qui reste tout à fait important pour comprendre quelque chose de la violence du sujet, pour les psychanalystes. C'est que, dans des situations, justement, où il n'y a plus de mots pour faire contrat, pour que les choses puissent changer, il est nécessaire qu'aussi bien individuellement que collectivement, les gens se retrouvent dans une situation où la violence sert à ré-ouvrir cet espace de négociation.
Frantz Fanon
Je me souviens d'un ami à l'université, un Algérien, qui me disait : "Tant qu'on fera de l'Arabe un homme comme nous, aucune solution ne sera viable".
Simone de Beauvoir
Quand la guerre d'Algérie éclata, il fut déchiré. Il ne voulait pas renoncer à un statut difficilement conquis. Cependant, tous les colonisés étaient ses frères. Dans la cause algérienne, il reconnaissait la sienne. Pendant un an, il servit la révolte sans abandonner son poste. Il hébergea chez lui et à l'hôpital des responsables du maquis. Cette contradiction lui devint insupportable. En pleine bataille d'Alger, ce fonctionnaire envoya à Lacoste sa lettre de démission où il rompait avec la France et se déclarait Algérien.
Frantz Fanon
Depuis des mois, ma conscience est le siège de débats intolérables. Si la psychiatrie est la technique médicale qui se propose de permettre à l'homme de ne plus être étranger à son environnement, je me dois d'affirmer que l'Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue. Ma décision est de ne pas assurer une responsabilité coûte que coûte, sous le fallacieux prétexte qu'il n'y a rien d'autre à faire. Pour toutes ces raisons, j'ai l'honneur, M. le Ministre, de vous demander de bien vouloir accepter ma démission, et de mettre fin à ma mission en Algérie. Avec l'assurance...
Jacques Azoulay
Après coup, je me suis dit que lui qui était d'origine Martiniquaise et qui était tellement français, occidental, et bien il avait trouvé une possibilité de s'engager, alors peut-être en rejetant agressivement son identification à l'image du français et c'est comme s'il avait retrouvé là sa révolte du colonisé.
Françoise Vergès
L'Arabe musulman, le combattant algérien, représentait pour Fanon l'homme authentique. Fanon trouvait là un individu à la masculinité meurtrie, mais qui avait, contrairement à l'Antillais, le courage de s'opposer au castrateur.
Frantz Fanon
Les Algériens savent que les peuples au sud du Sahara suivent avec enthousisme leur combat contre le colonialisme. Le peuple algérien a conscience que chaque coup porté à l'oppression en Algérie affaiblit le pouvoir colonial. Chaque embuscade, chaque garnison éliminée, chaque avion abattu, sème la panique parmi les forces coloniales, et renforce la conscience nationale africaine, malgache ou antillaise.
Simone de Beauvoir
Fanon avait demandé à Sartre une préface pour "Les Damnés de la terre" dont il lui avait fait remettre par Lanzmann un manuscrit. Deux ans plutôt, blessé à la frontière marocaine, on l'avait envoyé à Rome se faire soigner. Un tueur avait réussi à pénétrer jusqu'à sa chambre. Par chance, il avait vu dans le journal, que sa présence était signalée, et il s'était fait transporter secrètement à un autre étage. Ce souvenir le tourmentait.
Nous l'aperçûmes avant qu'il ne nous vît. Il s'asseyait, se levait, se rasseyait, changeait de l'argent avec des gestes saccadés, un visage agité, l'oeil aux aguets.
Dans l'auto, il parla avec fébrilité : d'ici 48 heures, l'armée française envahirait la Tunisie. Le sang allait couler à flots.
Stuart Hall
Il faut replacer "Les Damnés..." dans son époque. L'époque de l'émergence des mouvements de libération et de décolonisation. Il traite des questions auxquelles tous ces mouvements devaient répondre. La classe paysanne est-elle révolutionnaire? Quel est le lien entre lutte armée et réforme politique? Voilà le coeur des "Damnés de la terre" qui est en fait une sorte de bible de la décolonisation.
Raphael Confiant
Fanon fit sien le combat de libération de l'Algérie. à cette époque, la Martinique était complètement intoxiquée par la structure du pouvoir blanc, par les Français. Et ils n'avaient rien à voir avec les Africains ou les Arabes. Fanon fut le premier à rompre ce lien colonial entre les Noirs martiniquais et la France. N'oubliez pas qu'il fut condamné à mort, car il était considéré comme un traitre par l'armée française. Daniel Boukman Il était le représentant itinérant de l'Algérie combattante en Afrique noire. Pas toute mais les pays d'Afrique étaient à même d'entendre l'appel à la solidarité. Ces pays c'était le Mali, surtout le Ghana, la Guinée, la Tanzanie etc. Et Fanon parce que c'était une vérité qu'on peut bien-sûr contrôler, il avait une peau noire donc c'était un nègre, un noir, un martiniquais. Et de ce fait ça facilitait sans doute sa tache diplomatique dans ses relations avec les chefs d'état de l'Afrique du moment. Par exemple il a joué un rôle important dans l'ouverture d'un front supplémentaire dans le sud de l'Algérie, la Wilaya 6 pour que les armes et les hommes passent par la frontière du Mali et de l'Algérie.
Simone de Beauvoir
Il réaffirmait sans trève son engagement. Le peuple algérien était son peuple, mais personne parmi les dirigeants ne le représentait d'une manière incontestable. Sur les dissensions, les intrigues, les liquidations, les antagonismes, qui devaient plus tard provoquer tant de remous, Fanon en savait beaucoup plus long qu'il ne pouvait dire. Ces sombres secrets, peut-être aussi des hésitations personnelles, donnaient à ses propos un tour énigmatique, obscurément prophétique et troublé.
Stuart Hall
Pour Fanon, la rupture avec le pouvoir colonial, si elle ne se faisait pas par la lutte armée, ne déboucherait pas sur l'indépendance et la liberté.
Françoise Vergès
A un moment dans "El Moujahid", il parlera des Algériens en disant "nos pères". Fanon deviendra Algérien et se considèrera comme tel. Il était très véxé quand on disait qu'il était martiniquais. Il voulait être algérien. Il avait trouvé le pays de rêve, le peuple de rêve, les hommes qui personnifiaient la masculinité dont il rêvait.
Mohamed Harbi
Je l'ai connu à Tunis quand il était à l'information. Lui était extérieur d'une certaine manière à la société. Et ses principaux contacts, étaient des contacts avec des membres de l'intelligentsia, et comme tous les gens qui sont un peu extérieurs, il avait un besoin d'intégration très fort, que nous n'éprouvions pas de la même manière.
Stuart Hall
En un sens, il était opposé à la "décolonisation", -quand le pouvoir colonial se retire. Il voulait l'indépendance, la libération du peuple opprimé par lui-même. Ce qui était libérateur, c'était la lutte armée, la victoire sur l'ennemi, et la fierté que donnait cette lutte.
Mohamed Harbi
Fanon a toujours soutenu la fraction la plus radicale du F.L.N.. Il a soutenu Aben Ramdane quand Aben Ramdane s'était prononcé contre toute négociation avant qu'il n'y ait l'indépendance, il a soutenu Boumédienne et les gens des frontières quand ils ont commencé à se dresser contre le gouvernement algérien.
Homi Bhabha
Le désir, c'est la mémoire en mouvement : la psyché qui se rétracte, la tension des muscles, les enchevêtrements de barbelés, et puis la violence. La violence active les pétrifiés. L'acte violent n'est pas la tuerie, ni l'orgie de destruction. La violence montre l'approche démoniaque commune qui rapproche oppresseur et opprimé. La violence, c'est savoir que la liberté est proche de la fragile survie. Le spectre se réveille, le voile tombe.
Frantz Fanon
Il faut constamment avoir présent à l'esprit le fait que l'Algérienne engagée apprend à la fois d'instinct son rôle "de femme seule dans la rue" et sa mission révolutionnaire. L'Algérienne n'est pas un agent secret. C'est sans apprentissage, sans récit, sans histoire, qu'elle sort dans la rue avec trois grenades dans son sac à main ou le rapport d'activité d'une zone dans le corsage. Il n'y a pas chez elle cette sensation de jouer un rôle lu maintes fois ou aperçu au cinéma.
Stuart Hall
L'essai sur le voile est très intéressant. Bien-sûr, il est contreversé depuis sa parution. En un sens, il représente une découverte de Fanon : on ne peut abstraire un signe culturel de son contexte. Aucun signe culturel n'est fixe. Ce n'est pas parce que le voile a eu une fonction dans les relations hommes-femmes dans les sociétés islamiques par le passé, qu'il en sera toujours de même. Fanon retrouve son intérêt pour le regard décrit dans "Peau noire..." : ce qui est voilé, et ce qui est révélé.
Dans la lutte armée, les femmes se sont approprié le voile pour transporter des armes ou livrer des explosifs, car elles comptaient sur la vision réactionnaire des Français! Bataille d'Alger
Dialogues Arabe / Français: [Pas de papiers?
Ne touchez jamais à une de leurs femmes]
Stuart Hall
Ils pensaient qu'une femme voilée était dépendante et n'aurait pas le courage de faire ça. Elles changeaient le sens du voile, elles leur renvoyait leur vision.
FLN Femme 1
J'ai rejoint le FLN assez tôt. On avait décidé d'exécuter un officier français. J'ai mis le voile. Je suis allez chez lui et je lui ai dit "Ecoutez monsieur j'ai perdu mon mari. Donnez moi du travail." Alors il est sorti avec moi pour discuter et les Fedayin l'ont attrapé et l'ont étranglé.
Frantz Fanon
L'absence du voile altère le schéma corporel de l'Algérienne. Il faut inventer rapidement de nouvelles dimensions à son corps, de nouveaux moyens de contrôle musculaire. Il lui faut se créer une démarche de femme -dévoilée- dehors.
Mohamed Harbi
Je crois que son texte a été une rationalisation défensive du conservatisme algérien. Et beaucoup parmi nous n'ont pas du tout apprécié ce texte. D'autant plus que nous voyions, nous savions que les femmes dans des maquis avaient un statut qui n'était pas toujours très reluisant.
FLN Femme 2
Ce soir là j'ai protesté. Demandant pourquoi il n'y avait que des volontaires hommes ? "Tais toi ! ", m'ont il dit, "ce n'est pas un travail de filles, tu n'as pas le droit à la parole". J'ai protesté. Je leur ai dit que s'ils ne me donnaient pas la bombe, je descendrais en villes avec un couteau et je ferais un attentat. Finalement ils ont accepté. Ils m'ont donné une grenade que j'ai mise dans ma poche. Ils ont mis la bombe dans une boite de dates avec un réveil qui faisait tic-tac. Les sourds l'auraient entendu.
Mohammed Harbi
L'armée a décidé d'évacuer les femmes qu'il y avait dans les maquis vers la Tunisie parce que ça posait trop de problèmes. Donc, il y avait une société extrêmement... avec des valeurs patriarcales, qui a trouvé un porte-parole pour présenter ses comportements d'une manière progressiste.
FLN Femme 1
A l'indépendance j'ai voulu militer avec les femmes. Mais les hommes voulaient des femmes qui se taisent qui applaudissent. Ils ne voulaient pas des femmes comme moi qui parlent beaucoup.
Stuart Hall
Fanon a des vues assez romantiques sur la construction d'un homme nouveau, le sujet post-colonial libéré par sa lutte. Comme si les traumatismes du passé pouvaient être effacés. Comme si le combat était une sorte de recommencement, de table rase, qu'on reprenait tout à zéro. Je dis "romantique" en repensant à ce qui s'est passé en Algérie, où précisément le passé a survécu à la révolution, et a pris sa revanche sur le présent.
Si on situe cet essai dans le contexte de la place de l'Islam et de la religion dans la culture algérienne, -ce dont Fanon parle peu, il semble peu connaître le sujet-, il ne comprend pas cette société profondément religieuse. Il ne voit pas comment ceci va marquer la révolution. Il n'analyse pas la complexité de cette culture, et d'une certaine façon cette culture se venge sur la révolution même.
Homi Bhabha
Dans les débris et la poussière des vieilles nations, parmi les briques des nouvelles, Fanon surgit parmi nous, non seulement pour nous rappeler la sauvagerie du passé colonial. Pour les métaphores historiques de violence et de proximité, corps noirs et blancs juxtaposés, nous voyons une vérité plus profonde sur nos modes de vie, nos nations, nos villes, nos peuples. La frontière fermée, contestée, le problème de la zone et des barricades. Tournons le regard de l'histoire vers la maison du migrant, le réfugié qu'on n'accueille pas, vers ceux à qui on refuse l'émancipation, "les servantes payées deux livres par mois", le chômeur déshumanisé, les fragiles étrangers de la liberté. Tourne, histoire...
Simone de Beauvoir
A cause de l'amitié que Sartre et moi lui portions, nous souhaitions que la maladie lui accordât un long sursis. C'était quelqu'un d'exceptionnel. Quand je serrais sa main fiévreuse, je croyais toucher la passion qui le brûlait.
Daniel Boukman
J'avais 25 ans et c'était alors la guerre coloniale faite par la France à l'Algérie, et à ce moment-là eh ben j'ai été appelé - comme on dit - sous les drapeaux, et nous étions cinq à avoir refusé de faire cette guerre et à avoir choisi l'insoumission. à cette époque, en 1961, il y avait un lien, il y avait une caution qui crédibilisait notre action, et ce lien, cette caution, c'était Frantz Fanon. Bien sûr, il était déjà en train de mourir, mais comme c'est un homme qui a agi révolutionnairement jusqu'à la dernière pulsation de ses artères, eh bien, lui, il nous a facilité, en quelque sorte, la tâche.
Homi Bhabha
Ala fin des "Damnés de la terre", du sol écorché par la guerre et les troubles mentaux surgit l'écho d'une éthique de rédemption, le fruit étrange de l'amitié.
Frantz Fanon
Si vous et votre semblable êtes liquidés comme tous ces chiens, vous devez préserver votre importance. Vous devez peser de tout votre poids sur le corps de votre boureau pour que son âme, en quelque sorte perdue, puisse se redécouvrir. Et puis, il y a ce silence qui recouvre tout. Bien-sûr, le corps hurle. Ce silence qui submerge le tortionnaire.
Homi Bhabha
Est-ce que le poids de l'un sur l'autre, cette proximité, est une défense de la violence ? Les dés de la liberté sont-ils enfin jetés ? Dépassons le silence du tortionnaire, et prenons garde aux cris.
Joby Fanon.
Et, le 11 novembre... Enfin je l'ai reçue bien longtemps après, je l'ai reçue après la mort de Frantz... je reçois cette lettre qui était son dernier adieu. Où on voit toujours quand même le côté toujours très lucide de Frantz. Il sait qu'il va mourir. Et en fait, cette lettre, c'est presque une... un appel. Parce qu'il était seul à Washington. Et il est mort seul. Et quand Josie est arrivée, il dit euh... "Maintenant, ça va un peu mieux." Excusez-moi.... (Pleurs) "Je t'écris pour te donner quelques nouvelles." Excusez-moi...
Joby Fanon
Quand je l'ai reçue il était déjà mort. Mais il l'avait expédiée le 11 novembre de Washington. Il disait : "Mon cher Joby, maintenant que ça va un peu mieux, je t'écris pour te donner quelques nouvelles. Tu sais, toute cette chose que je traînais à Tunis, c'était tout simplement la leucémie chronique qui se transformait en leucémie aigüe. Vers le 20 septembre, la situation était très grave, j'ai décidé de venir aux Etats-Unis, dans un Institut spécialisé dans les recherches sur la leucémie. Bien m'en a pris, car 8 jours après mon arrivée, je commençais une série cataclysmique d'hémorragies qui évidemment me faisait balancer entre la vie et la mort.
Olivier Fanon
La situation qui prévaut aujourd'hui en Algérie n'est pas une situation euh... logique. Ce n'est pas une insurrection, ce n'est pas une guerre d'indépendance, ce n'est pas une guerre civile non plus. On dit qu'il y a deux partis, le pouvoir et les terroristes, qui ne sont pas définis. Enfin, on ne sait pas qui est qui. Je ne vais pas me hasarder à émettre une opinion sur les tenants et les aboutissants de cette histoire, hein, qui est très... qui est ... très nébuleuse, hein, pour moi, je dis ça en toute honnêteté. J'ai 40 ans, je suis fils de martyr de la révolution, comme on dit fils de "Cha'hid". Nous sommes quelques milliers, quelques millions en Algérie à être euh... fils de ... enfin, dont les parents sont morts pour que ce pays soit debout. Aujourd'hui, 30 ans après, ce pays est à genoux, pour ne pas dire assis. Fanon est un théoricien de la révolution, Fanon n'aurait jamais accepté cette situation. Fanon dérange.
Frantz Fanon
Mon ultime prière : "ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge".
Source:
http://www.k-films.fr/distribution/films/fanon/fanonscenar.html
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