El Watan, édition du 16 décembre 2004
Etienne
Nasreddine Dinet, peintre et romancier de Bou Saâda![]()
Les lumières
du Sud
La mémoire artistique algérienne, traversée par
des parcours à la fois atypiques ou fulgurants, garde aujourd’hui un souvenir
évanescent du grand peintre qu’est Etienne Nasreddine Dinet.
Ce fils de la grande
bourgeoisie parisienne avait fait le voyage algérien, d’abord dans la
tradition de ce tourisme colonial qui avait séduit des auteurs comme Flaubert
ou Dumas, auxquels la beauté du pays conquis militairement par la France
arracha des cris d’admiration universelle. L’auteur de Madame Bovary, qui
s’y connaissait en matière de splendeur des sites, fut ravi par la splendeur
magnifique de la Constantine de son époque. Dinet
n’était pas dans la disposition d’un Delacroix auquel un voyage tout de même
furtif permit de peindre son chef-d’œuvre, Femmes d’Alger dans leur
appartement. Ce peintre, pas encore réellement établi, était le contemporain
d’artistes qui s’étaient imposés de haute lutte sur le marché de l’art
dans la France de l’époque, à l’image de Manet, Renoir, ou Degas. Le périple
algérien le transforma, dès lors qu’il fût sous l’emprise définitive et
saisissante du Sud sublime. La rencontre avec cet Eden, en réalité inespéré,
était ce qui pouvait arriver de mieux alors à Dinet. Sans doute, n’aurait-il
pas été homme à conduire les rudes batailles contre le conservatisme des
institutions académiques dont pâtirent des génies tels Paul Cézanne ou
Vincent Van Gogh. Gauguin s’en alla aussi, mais pour d’autres raisons que
celles de Dinet dont la découverte de l’Algérie sera une passion et une
initiation, un accomplissement identitaire en fait. Dinet fût lui-même à
partir du moment où il découvre Bou Saâda. La ville, ses lieux les plus
symboliques, sa population autochtone sont la révélation qui va accélérer
chez lui le processsus de la création qui, peut-être, était en attente du
coup de pouce du destin. Dinet s’installe à partir de ce moment-là dans une
algériannité que confortera sa conversion à l’Islam. Cet esprit rationnel
avait trouvé un chemin de lumière que la vieille Europe, austère et chagrine,
ne savait plus offrir sauf à fabriquer la révolte humaine et sociale.
Aujourd’hui, l’itinéraire de Dinet est exemplaire d’un raccord avec une
actualité qui se focalise sur le dialogue des civilisations. Quelle est
pourtant la place de cet artsiste dans le pays qu’il avait choisi et qu’il
avait si admirablement décliné dans son œuvre peinte ou romanesque ? Nul
hommage ne lui est rendu et cela conduit à une occultation d’un itinéraire
que la mémoire collective est en droit de s’approprier. Il reste pourtant
l’association intangible des noms d’un peintre et d’une ville. On ne peut
citer Dinet que pour en reférer à Bou Saâda, cette cité où s’incarnent
les vertus, familières aux Algériens, de l’hospitalité et de la tolérance.
Bou Saâda accepta Dinet car sans doute l’artsiste ne posa pas sur la ville le
regard de l’autre. Elle le reconnut comme l’un des siens.
Amine Lotfi