Peinture: L’orientalisme en question. |
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La Villa Abdeltif, à partir de 1907, lieu de résidence des peintres orientalistes sur les hauteurs d'Alger, actuellement en cours de restauration.
À L’orée de l’art moderne Contemporain des peintres ci-dessus cités, Delacroix peignait, déjà dans son atelier parisien, Turcs et scènes d’Orient sans pour autant s’y être rendu, s’inspirant presque exclusivement des poèmes de Byron ou des relations de voyageurs revenant de Smyrne. Comme on le sait, l’occasion lui fut donnée de se rendre au Maroc, en 1832, pour accompagner le comte de Mornay dépêché en ambassade auprès du sultan chérifien. Il passera par l’Algérie, ensuite, avant de rentrer en France les yeux emplis de couleurs pour réaliser ses fameuses Femmes d’Alger dans leur appartement dont Renoir dira plus tard qu’il n’y avait pas de plus beau tableau au monde. En dépit de la nouveauté et de l’originalité des couleurs qu’il y révèle avec sa maîtrise du clair-obscur, ce n’est peut-être pas dans cette seule oeuvre que l’on peut juger de toute l’habileté artistique de Delacroix. Elle est également à rechercher dans cette manière qu’il avait d’user de hachures et « tachetage », technique déjà observée dans certaines de ses toiles. Même procédé utilisé, d’ailleurs, après son retour du Maroc lorsqu’il peint ses Chevaux sortant de la mer ou sa Chasse aux lions. Les nouveaux sujets de prédilection de Delacroix n’étaient donc plus conçus uniquement en atelier, peu éclairé au demeurant, mais réalisés en extérieur, sans que ses personnages ne perdent pour cela de leur mystère comme tint à le faire remarquer Baudelaire. Des couleurs de Delacroix, Jules Laforgue dira en 1883 qu’elles constituaient, en fait, des « vibrations lumineuses colorées et d’incessantes variations ». C’est sûrement ces vibrations que Renoir décida d’aller chercher et trouver à Alger. Il en usera généreusement par la suite pour livrer personnages et paysages ruisselants de couleurs. Quel hommage, d’ailleurs, que celui rendu plus tard à Delacroix par Picasso, lorsqu’il interprétera à sa manière ses Femmes d’Alger. Dans la foulée de ces précurseurs de l’orientalisme, on verra ensuite, nombre d’artistes de tous bords et horizons, traverser la Méditerranée à la recherche de dépaysement : Cauvy, Huysmans, Deckers, Styka Dufy, Hambourg, Ziem, Lebourg, Marquet, Lurçat, Benjamin-Constant, Shonborn, Shreyer, Van Biesbrock, Picasso, Foujita et bien d’autres. Dans
leurs propres tons et nuances, Vershaffelt et surtout Dinet, fixeront sur leurs toiles et pour la postérité un nombre infini de scènes typiques aujourd’hui disparues, tels ces mariages, enterrements, circoncisions, jeux de filles et garçons tous empreints de mystère et de volupté. Expressions et couleurs des Bezombes, Charles Dufresne, Jean Launois et de Maisonseul nous rappellent certaines touches à Matisse tandis que Les femmes de Tlemcen de Cortès évoquent pour nous rien de moins que le charme de l’Andalousie maure. A regarder aussi de près les travaux de Pierre Deval et du Poitevin, l’on ne peut s’empêcher de les rapprocher du fauvisme propre à Marquet, ni de relever cette étonnante proximité artistique entre Henri Chevalier et Raoul Dufy. Fastidieuse pourrait être l’énumération de tous ces artistes européens et autres passés par l’Algérie tant ils se comptent par dizaines et tant variés furent leurs styles et rapports avec l’orientalisme. Peut-être serait-il alors utile de voir brièvement quelle fut leur influence auprès de certains artistes algériens et d’autres nés sur la terre d’Algérie. A la période où ces peintres débarquaient en Algérie, il n’y avait pour ainsi dire pas de peintres figuratifs autochtones. Du fait de la longue présence ottomane en Algérie, on aurait pu penser que la miniature y était fréquente, ne serait-ce qu’à Alger. Il n’en était rien, car cet art de la miniature n’était pas si répandu en Turquie elle-même. De plus et comme dans la plupart des pays musulmans, la représentation humaine par l’image était pour ainsi dire rarissime voire proscrite, non par dogme mais par tradition et suivisme, l’art pictural tel qu’il se pratiquait alors en Algérie, se limitait à l’abstrait. Les artistes s’exprimaient via d’infinies combinaisons géométriques et de savantes variations et entrelacements de motifs floraux appelés en Occident arabesques. Il y avait bien sûr aussi l’enluminure et la calligraphie. Motif ornemental et iconographique par excellence, la calligraphie arabe et la peinture dite du « manuscrit » étaient ce qui se pratiquait le plus dans de petits ateliers d’Alger, de Tlemcen et de Constantine. Face aux quelques courants artistiques figuratifs qui se manifestaient ici et là en Algérie, l’administration coloniale se mit dès les années 1900 à vouloir les encadrer et à les encourager. Un musée municipal vit le jour puis un musée national et, enfin, une Ecole des beaux-arts, tous implantés à Alger, suivis aussitôt par l’apparition d’associations d’artistes et de galeries d’art. Des expositions furent organisées y compris en France au bénéfice surtout des orientalistes de passage et de peintres d’origine européenne. Peu d’artistes musulmans furent concernés par ces avancées. Le premier à voir ses efforts reconnus fut Mohammed Racim qui reçut, en 1924, le prix des Peintres orientalistes français puis le Prix artistique de l’Algérie en 1933. Les années 1940 virent l’émergence d’autres miniaturistes ou enlumineurs de talent tels Temmam, Yellès, Ali Khodja, Ranem. S’agissant de la peinture figurative orientaliste, elle eut parmi les Algériens de chauds partisans de la trempe de Hemche, Boukerche et Benaboura, pour ne citer que ceux-là. On est tenté, au passage, de noter ces similitudes entre les pinceaux d’Alfred Figueras et de Farès ou ceux de Boukerche et de Stycka par exemple alors que Hocine Ziani est allé, quant à lui, vers des sujets s’apparentant fort à ceux d’Horace Vernet. Pas de générations spontanées Pour ce qui est des peintres européens nés ou établis en Algérie, ils étaient naturellement plus nombreux et influents dans les associations d’artistes en Algérie. Les sujets traités par eux montrent à l’évidence un penchant pour les coins et lieux qui leur étaient familiers tels que places, plages et ports, plutôt que pour les oasis et le folklore saharien. Sauveur Galliéro avec ses Dancings et ses plages de Padovani et des Deux moulins, mais aussi Richard Ascione, Olynthe Madrigali, Michel Sturla et Louis Benisti avec leurs ports, jetées et fermes coloniales avaient réussi avec d’autres à dépeindre de manière marquante cette atmosphère propre et chère aux « pieds-noirs » d’Algérie. Quelques-uns de ces peintres avaient tout de même réussi à concilier à la fois leur appartenance à la communauté européenne et leur voisinage d’avec les populations musulmanes. Cela a été le cas d’Yvonne Herzig qui nous a laissé de touchantes processions de villageois kabyles sur fond de paysages montagneux. Raymond Martinez, Emile Caro et d’autres ont pu, également, nous faire partager la chaleur et l’animation des quartiers populaires musulmans d’Alger, d’Oran et d’ailleurs. Comme mentionné au début de cette contribution, les controverses ne manquent pas autour du thème de l’orientalisme. lu sur http://philhadj1.free.fr/ |