Isabelle Eberhardt. L'écriture de sable.

 

Témoignage sur le pays de l'ocre

Saïd Khatibi

El Watan du 14 décembre 2006

   

Vingt-sept ans à peine d'existence, mais un parcours d'une telle originalité fascinant.

Comment la passion d'une jeune fille, née à la fin du XIXe siècle, a-t-elle pu la mener des

rives du lac Léman au Sahara algérien ?

 

L'histoire ambitieuse, mais aussi tragique, d'une femme qui avait traversé la Méditerranée, à la

recherche de la terre du Soleil-Levant. Née en 1877 en Suisse, d'une mère française et d'un père

russe, Isabelle a été très tôt fascinée par l'ocre de son pays préféré, l'Algérie. Ayant épousé un

maréchal des logis de spahis, Slimane Ehni, Isabelle a parcouru presque tout le désert algérien,

d'Est en Ouest. « Je suis née musulmane et je n'ai jamais changé de religion », a-t-elle écrit. Son

appartenance à l'Islam lui a permis d'être plus proche des habitants du Sud auxquels elle avait

accordé une grande générosité et sensibilité. Aujourd'hui, les universitaires et les gens de lettres la

considèrent comme une des icônes de la littérature de voyage du Maghreb sinon du monde. Son

recueil de nouvelles, L'écriture de sable, se compose de onze textes (extraits de son ouvrage Pages

de l'Islam, Fasquelle éditions, Paris 1920), répartis en deux chapitres aux titres courts : Obscurité et

Femmes. A travers ses nouvelles, dans un français mêlé à la langue courante locale, Isabelle

Eberhardt montre une large connaissance des traditions arabo-musulmanes. Elle indique

précisément les noms des lieux et des personnes. Autant qu'elle a aimé sa terre d'exil et d'adoption,

elle a défendu avec acharnement la cause des Algériens, appelant naïvement les autorités

françaises à leur intégration au même niveau que les colons, à une époque où même l'idée d'égalité

était bannie. Elle fut de son temps l'unique femme (et un des rares individus) à décrire et à dénoncer

le quotidien misérable de ses coreligionnaires. Elle fut, en quelque sorte, leur porte-parole. L'amour

contrarié fut un thème enraciné dans la plupart de ses textes d'auteur. Avec l'histoire de Si

Abdelrahmane et Lalia, la fin tragique de Taâlith et les souvenirs de jeunesse des malheureuses

Saâdia et Habiba, Eberhardt a pu, sagement, dévoiler l'autre face des gens du Sahara à travers leur

sensibilité et leurs amours. Dans ce recueil, seule la nouvelle Fleurs d'amandiers porte une

dédicace, rendant hommage « à Maxime Noiré, le peintre des horizons en feu et des amandiers en

fleurs ». On raconte qu'au cours de ses longs voyages dans le Sahara, Isabelle Eberhardt a été

éblouie par un événement. Un jour, elle rendit visite à la zaouïa d'El Hamel à Bou Saâda. Et là,

qu'elle ne fut sa surprise de découvrir que ce grand centre confrérique était, à l'époque, présidé par

une femme, Lalla Zineb. Comment une femme pouvait-elle diriger une tribu puissante, qui comptait

des milliers de chevaliers et de guerriers ? S'était-elle demandé, tandis que débutait une solide

amitié entre elle et la grand dame d'El Hamel. L'auteur a laissé plusieurs ouvrages posthumes, entre

autres : Dans l'aube chaude de l'Islam (1921), Notes de route (1908), Trimardeur (1922), Mes

journaliers (1923), Contes et paysages (1925), repris sous le titre Au pays du sable (1944). A

l?inverse d'Etienne Dinet, Isabelle Eberhardt a connu l'Islam avant de connaître l'Algérie. L'écriture

de sable est un voyage passionné dans les profondeurs du Sahara. Emportée par la crue d'un oued

à l'âge de 27 ans, Isabelle Eberhardt, malgré une vie brève, a pu s'imposer comme une figure

emblématique de la littérature algérienne et un personnage quasiment légendaire.