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Le pèlerinage à la Maison Sacrée d'Allah par El Hadj Nacir Ed Dine E. Dinet et El Hadj Sliman Ben Ibrahim Baamer
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Mekka
Elle (Mekka ndr) est bâtie dans une une vallée étroite entièrement dénudée et entourée de tous cotés par d'effroyables déserts. Malgré ces énormes désavantages, ses rues offrent le spectacle d'une activité inimaginable; ses boutiques sont abondamment approvisionnées et son ravitaillement pour tous les besoins de la vie tient réellement du prodige. Avec une pareille affluence de pèlerins et avec les cinq ablutions journalières de chacun d'eux, nous craignions de manquer d'eau. Or, nous en avons toujours en surabondance pour tous nos besoins et pour le lavage de notre linge et de nos vêtements. Mais aussi, quelle activité autour des puits ! Il en existe un à quelques pas de notre porte, et il offre un spectacle peu banal, celui de sa multitude de porteurs d'eau criant, gesticulant et tirant les seaux ou les chargeant sur leurs épaules avec une rapidité fantastique. Un de nos plus vifs étonnements est de constater la quantité incroyable de bois employé pour les milliers d'énormes moucharabiehs, qui aèrent les maisons de cette ville, dans les environs de laquelle il ne pousse pas un seul arbre.(...) Les maisons de Mekka présentent à peu près les mêmes dispositions et le même aspect que celles de Djedda et d'El Madina. Mais, la prospérité y étant plus grande, la plupart de ces maisons sont mieux bâties et plus luxueuses. Beaucoup d'entre elles possèdent un système de terrasses superposées et correspondant aux trois derniers étages (...). Les objets spécialement destinés aux pèlerins, que l'on voit dans les boutiques sont des récipients de tous genres pour l'eau de Zemzem: de beaux tapis d'Orient et d'affreux tapis de prière, de camelote hollandaise; des chapelets de toutes espèces; des livres religieux; des sacs de henné; du koheul et de petites fioles à koheul en métal; des parfums; du mesouak en bois d'Irak; des bagues et des bijoux; des voiles hindous brodés de soie, pour turbans, etc.
Arrivée des pèlerins algériens à Mekka
Les pèlerins de Tunisie, puis ceux d'Algérie viennent enfin d'arriver à Mekka, assez mécontents d'être les derniers et de n'avoir pas suffisamment le temps pour se reposer des épreuves de leur voyage en mer avant le départ pour la très fatigante cérémonie d'Arafat. Ils manifestent la joie la plus touchante, en nous retrouvant dans le Territoire Sacré, dans nous avions si souvent parlé ensemble et que nous entrevoyions comme dans un rêve lointain, aujourd'hui réalisé. Il y a parmi eux des habitants de Bou-Saada; ils fréquentent le même endroit du temple que nous à la prière du moghreb, et, sachant que nous devons rentrer avant eux dans notre pays, ils nous chargent de commissions pour leurs familles.
Le Mont Arafat
En bas, dans notre rue, le tapage est au comble, grognements de chameaux, cris de chameliers, appels de pèlerins, entrechoquements de cheqdefs, etc. Notre Methouaf nous conseille d'attendre que l'encombrement ait diminué; mais tous les pèlerins tunisiens qui habitent au-dessous de nous sont partis et l'encombrement augmente. Nous nous fâchons contre notre methouaf; enfin, nos cheqdefs sont terminés et attachés sur nos chameaux. Ces cheqdefs sont des sortes de palanquins contenant deux litières disposées en long et se faisant équilibre, chacune sur un des flancs de l'animal. Les nôtres sont un peu plus luxueux que les cheqdefs ordinaires, ils sont entièrement recouverts d'une étoffe de laine au lieu de rester ouverts par le milieu. Les chameaux étant debout, nous escaladons nos litières au moyen d'une petite échelle et nous nous y installons, El Hadj Sliman avec sa femme dans un des cheqdefs et, dans l'autre, El Hadj Nacir Ed Dine avec le serviteur Hassen qui lui fait contre-poids. Mais nous ne sommes pas encore partis ! L'encombrement dans les rues étroites avec les cheqdefs démesurément larges est quelque chose d'inénarrable; nos chameaux avancent à peine d'un pas tous les quarts d'heure. Heureusement, ils sont dressés d'une façon remarquable; ils peuvent stationner debout sans broncher pendant des heures et ils profitent de la moindre éclaircie dans la cohue pour s'y faufiler. Les chameaux algériens, dans de semblables circonstances, seraient affolés; ils jetteraient immédiatement à terre leurs palanquins et ceux qui les montent et chercheraient à s'enfuir avec des bonds désordonnés, s'empêtrant dans les jambes ou les cous les uns des autres, piétinant tout et se brisant les membres.(...) La plaine est déjà recouverte de milliers de tentes, et un flot incessant de caravanes se déverse sur elle. Nous marchons droit vers le Djebel Er Rahma (montagne de la Miséricorde) et nous faisons halte non loin de lui, au Sud-ouest, à un endroit qui nous est réservé. Notre serviteur Hassen s'empresse de monter notre tente haute, conique, doublée de rouge avec des décorations vertes, jaunes et bleues, et munie de parois mobiles que l'on dispose suivant l'orientation du soleil. Les cheqdefs sont rangés tout auprès et les chameaux accroupis reçoivent leur ration de fourrage tressée en longues cordes que l'on défait au moment de l'usage. L'air du matin est pur, relativement frais et, retrouvant notre chère vie nomade sous la tente dans le désert, nous espérons nous remettre des fatigues de Mekka, qui avaient surtout éprouvé le plus âgé d'entre nous. Nous récitons les telbia (la Telbia est l'exclamation Lebbaik Allhoumma ! "Me voici tout à Toi, ô Allah !") et les invocations que le pèlerin doit réciter à son arrivée devant Arafat; puis nous faisons honneur au repas préparé par notre serviteur.
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