Théodore Monod : le savant amoureux du désert
 

Naturaliste voyageur à la manière des encyclopédistes du XVIIIe siècle, grand connaisseur de l’Afrique saharienne, Théodore Monod est mort le 22 novembre 2000 à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans. Pour la communauté scientifique internationale, ce fut un grand savant. Pour le public, un humaniste généreux

L’Afrique saharienne fut son « diocèse ». Ce fils et petits-fils de pasteur, qui envisagea lui-même de se lancer dans la théologie, considérait en effet le Sahara comme sa cathédrale, et les hommes du désert comme ses paroissiens.

En fait, Théodore Monod fut toujours curieux de tout, depuis sa plus tendre enfance, d’abord à Rouen, puis à Paris. Poissons, insectes, fossiles, étoiles, qu’importe : il observait avec passion ce que la nature mettait à sa portée. Et il dévorait les livres qui décrivaient ce qu’il ne pouvait voir ni toucher, se promettant bien d’y aller voir un jour.

L’insatiable curiosité des choses de la nature débouche forcément sur le voyage. L’enfant Théodore, lorsqu’il parcourt la France en famille, rapporte des spécimens et surtout des notes sur ce qu’il a pu observer. Adolescent, il rêve de voyages lointains et se repaît de récits d’explorateurs. Il se voit volontiers arpenter le Tibet, ce toit du monde où les hommes, pense-t-il, sont plus proches de Dieu.

Mais Théodore Monod n’ira pas au Tibet. Après avoir collectionné les diplômes (biologie, botanique, géologie) de la faculté des sciences à la Sorbonne, il est affecté en 1920, à dix-huit ans, comme « naturaliste » à bord d’un navire océanographique qui cabote le long des côtes de la Bretagne (façade atlantique de la France).

L’année suivante, il entre au Muséum d’histoire naturelle et, en 1922, est nommé assistant au département des Pêches et Productions coloniales. A ce titre, il s’embarque pour Port-Etienne, en Mauritanie, où il est chargé d’étudier la faune marine et la pêche. Derrière lui, le désert, immense et fascinant...

Pour rentrer à Paris après un an de séjour à l’étranger, il gagne Dakar (Sénégal) à dos de chameau. C’est la découverte éblouissante du désert et de ses hommes, son chemin de Damas. A vingt et un ans, sa vie bascule : spécialiste de la faune marine, il se prend de passion pour le désert !

Un pèlerin engagé

En 1925, le Muséum l’envoie de nouveau en Afrique, mais dans la zone équatoriale : il dispose de un an pour faire l’inventaire de la faune aquatique entre le sud du Cameroun et le lac Tchad. Formidable mission qui le fait voyager partout, à pied, en pirogue et même en chaise à porteurs, dans une Afrique imprégnée d’habitudes coloniales.

Le désert, cependant, le tenaille. En 1927, la Société de géographie lui propose une mission taillée sur mesure : il accompagnera une expédition scientifique à travers le Sahara, d’Alger à Dakar, via Tamanrasset et Tombouctou. Six mois à explorer le plus grand désert du monde ! Théodore Monod jubile. Il collectionne les échantillons de plantes et de roches, multiplie notes et croquis. Il récolte une moisson qui va l’occuper pendant plusieurs années au Muséum. Ce qui lui laisse le temps d’épouser une jeune fille issue de la diaspora juive de Tchécoslovaquie.

Mais il ne renonce pas au désert. En 1934, il passe quatorze mois dans les dunes de Mauritanie. L’année suivante, il est le premier homme à explorer le désert alors inconnu de Tanezrouft, laissé en blanc sur les cartes du Sahara. En 1938, il part avec sa petite famille pour Dakar, afin d’installer l’Institut français d’Afrique noire (Ifan), centre de recherches historiques et scientifiques concernant l’Afrique occidentale française. C’est là que la guerre le surprend. Il est affecté comme méhariste 2e classe dans un régiment stationné au Tibesti, dans le nord du Tchad.

Rentré à Dakar après maintes péripéties, il milite contre la collaboration avec les nazis, fustige le racisme érigé en politique dans les colonies et accueille de Gaulle en 1944. Devenu professeur de zoologie, titulaire de la chaire d’ichtyologie au Muséum, Théodore Monod partage son temps entre son laboratoire parisien, l’Ifan et les expéditions sahariennes qu’il multiplie entre 1953 et 1964. Il parcourt le Sahara en tous sens, à dos de chameau mais surtout à pied, étonnant même les hommes du désert par son endurance et sa frugalité.

Toujours avide de connaître du nouveau à l’âge de quatre-vingt-treize ans, et bien que presque aveugle, il accompagne une expédition botanique au Yémen en 1995 et retourne encore au Sahara l’année suivante !

Infatigable marcheur du désert pendant sa carrière de chercheur, il a consacré la fin de sa vie à mettre en accord sa foi chrétienne et les combats pour la dignité de l’homme. On le voyait marcher au premier rang des manifestants qui protestaient contre la bombe atomique, l’apartheid, l’exclusion. Il militait contre tout ce qui, selon lui, menace ou dégrade l’homme : la guerre, la corrida, la chasse, l’alcool, le tabac, la violence faite aux humbles. Son credo : le respect de la vie sous toutes ses formes.

Roger Cans Journaliste et écrivain

Littérature:

  • Théodore Monod, le respect de la vie, de Roger Cans, éd. Sang de la Terre, Paris, à paraître courant 2001.
  • Monsieur Monod, scientifique, voyageur et protestant , de Nicole Vray, éd. Actes Sud, Arles, 1994.
  • Méharées, explorations au vrai Sahara , de Théodore Monod, éd. Je sers, Paris, 1937. Rééd. Actes Sud, Arles, 2000.