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Née à Cherchell le 4 août 1936. Père instituteur ancien élève de l'Ecole Normale de Bouzaréa avec Mouloud Feraoun. Etudes en Algérie jusqu'à Propédeutique, fac d'Alger 1953-54. 1954 Khâgne à Paris, lycée Fénelon. Admise à l'ENS de Sèvres en 1955. Arrêt des études en 1956 après participation à la grève des étudiants algériens. Mariage en 1958. Journalisme à El Moudjahid à Tunis. D.E.S. en Histoire. 1959 assistante à l'Université de Rabat. 1962 Université d'Alger. Puis Centre Culturel Algérien à Paris et FAS. Actuellement enseignante dans une université américaine. Prix de la critique internationale à Venise en 1979 pour "La Nouba des femmes du mont Chenoua" (Film). Prix Maurice Maeterlinck (Bruxelles), 1995. International Literary Neustadt Prize (USA), 1996. Prix international de Palmi (Italie), 1998. Elue à l'Académie française le 16 juin 2005. |
« […] je n’ai pas d’intentions à exposer : ni claires ni simples. Ce livre existe, c’est tout, et je souhaite qu’il tienne sur ses jambes. Bien sûr, je dois en expliciter le titre : voici quelques années, en lisant Le Maghreb entre deux guerres de Jacques Berque, j’apprenais un détail : les danseuses des Ouled-Naïl en Algérie près de Bou-Saada étaient appelées par les soldats français « Alouettes naïves ». Je demandai un jour à Jacques Berque les raisons de ce surnom. Il m’expliqua qu’il ne s’agissait que d’une déformation de prononciation, ouled donnant « alouettes » et nail « naïves ». Un quiproquo avait donc fait jaillir cette image. Il n’y a aucune danseuse ouled-naïl dans mon roman, et presque pas, je crois, de soldats français. Le lieu le plus fréquent n’y est point Bou-Saada, mais Tunis que je connais mieux, et Alger, ainsi que la campagne et quelques petites villes du littoral algérien. J’ai choisi la réalité de mon pays, le Maghreb : une réalité non point seulement féminine, mais globale. Ces danseuses-prostituées de Bou-Saada n’existaient dans leur magie de pacotille que pour soldats et touristes étrangers. Pourquoi ? Parce que les guerriers de la tribu avaient auparavant léché la poussière ; alors, dans la débâcle, ne demeurait que cette danse, dérisoire certes, mais fidèle encore (oh ! confusément, si faiblement) à un rythme ancien, et à l’ombre de notre vrai style. Ombre qui a permis à l’équivoque de déboucher sur ce surnom joliment précieux : les « Alouettes naïves ». L’exotisme de ce tableau de Bou-Saada correspondait à une réalité sinistre (la prostitution des danseuses), tout en exhalant un vague souvenir de noblesse (les Ouled-naïl ont été autrefois une splendide tribu guerrière) que ne pouvait percevoir l’œil étranger, mais qu’il nous faut, nous, restituer.
Un tangage incessant
[…] Tantôt notre présent nous paraît sublime (héroïsme de la guerre de libération) et le passé devient celui de la déchéance (nuit coloniale), tantôt le présent à son tour apparaît misérable (nos insuffisances, nos incertitudes) et notre passé plus solide (chaîne des ancêtres, cordon ombilical de la mémoire). Par ce tangage incessant, et parce que nous faisons constamment le grand écart entre le passé paralysé dans le présent et le présent accoucheur d’avenir, nous, Africains, Arabes et sans doute d’ailleurs, nous marchons en boitant quand nous croyons danser, et vice versa. C’est pourquoi nous nous demandons parfois si nous avançons. Je ne prétends pour ma part avancer qu’en écrivant.
Assia Djebar 1er octobre 1967*
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